UNE SIMPLE HISTOIRE
Je suis né en France en 1958. Qui aurait pu croire que j’aurai eu le coup de foudre pour cette belle noire née au Japon en 1974.
Ne vous y méprenez pas, il s’agit là d’une guitare de marque Ibanez Concord Black-beauty 752.
Il ne s’agit pas non plu d’une banale histoire d’un bout de bois que l’on achète pour draguer les filles et pour finalement mettre au placard après deux semaines car c’est trop compliqué à apprendre et en plus ça fait mal aux doigts.
Cette guitare a une vraie histoire qui a commencée avec moi voici plus de 40 ans en septembre 1977.
LA GENESE
Tout petit déjà, comme le disait Coluche, je devais avoir environ 4 ans, 1962 donc, je faisais des acrobaties pour toucher la guitare d’Alain, le fils de ma nounou, qui la planquait sur une étagère haut perchée au-dessus de son lit. Celle-ci n’était pas dans un placard, cependant, elle n’avait qu’un rôle purement décoratif ; et encore. Elle était posée là, à l’horizontal, sur le dos à attendre que l’on veuille bien s’occuper d’elle, ou au minimum, de l’accorder.
Qu’à cela ne tienne, profitant du dodo imposé de l’après-midi dans la chambre commune, je m’esquivais du lit, grimpais à grands efforts sur le matelas de mon partenaire de chambrée qui lui était à l’école, me dressait en équilibre et tout en étirant le bras droit au maximum au-dessus de mon un mètre, j’atteignais l’objet convoité et d’un geste rapide faisais vibrer les cordes, Chgloinnggggg…….. Bon ! pas terrible mais le but était atteint sans se faire gauler.
J’avais déjà une forte attirance pour cet instrument de musique, mes yeux brillaient quand j’en voyais en vitrine.
Quand j’ai commencé à travailler en 1975, mon premier achat fût, devinez quoi ? Ben oui une guitare classique premier prix.
J’habitais à cette époque aux Lilas dans le neuf trois au 1 place des Myosotis, une adresse très poétique dans ce qui s’appelait les cités jardins.
Avec ma guitare fraîchement acquise, j’allais me poser dehors sur les marches qui traversaient le terrain à côté pour éviter de me payer la honte et d’écorcher les oreilles de mes parents. Comme il se doit, j’attaquais fort en m’essayant à « Jeux interdits » sur une corde… Mouai !…. Peut faire mieux.
Par le comité d’entreprise de Thomson CSF où je travaillais, il y avait des cours de guitare collectifs. Le prof me joua un morceau de musique classique qui me mis d’office des aigreurs d’estomac. Le gars a voulu m’impressionner avec ses cinquante doigts. Je du revoir mes ambitions à la baisse, n’ayant pour ma part, que 5 doigts par main. De toutes façons, ce n’était pas du tout la direction musicale que je voulais prendre, le problème était donc réglé pour le moment.
C’est alors qu’un voisin plus expérimenté, me voyant assidu mais pas trop sûr de mes gestes, m’expliqua que ce truc s’accordait avant de tenter de commencer quoi que ce soit.
J’en pris bonne note, Mi, La, Ré, Sol, Si, Mi, soit 6 cordes, le compte y est. Une fois ceci fait, il y avait des règles et surtout des accords à apprendre…. Ah ? ça se complique. Pour commencer, il m’apprit trois accords simples de base, Mi majeur, La Majeur et Ré Majeur. « Là mon pote tu vas pouvoir commencer à attirer les filles comme des mouches après un bon camembert ». Certes oui, mais dans un premier temps cela n’était pas mon but prioritaire.
Les 3 accords théoriquement acquis, il m’expliqua « Maintenant que tu as compris le truc, je vais t’apprendre quelque chose de magique avec ces trois accords »
Go « C’est une poupée hé hé, qui fait non, non non, nooonnnnn » Whaou ! miracle, ça marche impec. J’aurais préféré qu’il m’apprenne « qui dit oui, oui oui , iiiiiiiii », mais bon, surtout que j’avais la voisine d’en face, Sylvie, dans le collimateur.
Mai 1976, grande transhumance familiale vers la Savoie, adieu mon prof particulier et la voisine, c’est ainsi. Entre la vie à la montagne et celle de Paris, il n’y avait pas photo.
Je continuais donc à étudier seul les accords de guitare dans un cadre de vie magnifique, cependant l’instrument bon marché commençait à avoir quelques faiblesses avec les mécaniques qui cassaient une par une. Il fallait que j’envisage l’achat d’une guitare « sérieuse ».
UNE NOUVELLE GUITARE
Eté 1977, retour aux sources polluées Parisiennes, j’allais voir mon vieux copain Pascal. Presque mon frangin celui-là, on se connait depuis le CM1, ce n’est pas rien.
Je profite de l’occasion pour me rendre au BHV rayon musique et trouve une belle guitare de couleur rouge avec dégradé orange allant vers la rosace, la grande classe. A la caisse, on me demande ma carte d’identité, rien d’anormal jusque-là. Oui mais problème majeur, je ne l’avais pas sur moi. Pour cause, la pauvre avait fait un voyage imprévu dans la machine à laver accompagnée du Jean dans lequel elle était restée à l’abri dans la poche arrière droite.
Je fus donc refoulé à la frontière et rentrais bredouille.
A mon retour, le train passait par Chambéry, j’y fis une halte en prenant une chambre à l’hôtel « Au Lion d’or » où j’avais pour habitude de séjourner car je prenais des cours par mon travail tous les samedis. J’avais mes entrées et la directrice me faisait payer 50 fr la chambre avec petit déjeuner, trop cool.
En connaissance des lieux, j’allais au magasin de musique où j’achetais déjà des livres de musique.
Là se trouvait ma belle Black-Beauty. J’ai flashé directement dessus…
« Pourrais-je avoir votre carte d’identité SVP ? », problème…. Avec mes 19 ans cheveux longs je n’avais visiblement pas l’air très honnête…. « Ben non etc… ». Après quelques supplications, nous avons appelé ma banque pour rassurer la vendeuse afin quelle soit certain
e que je puisse payer avec mon chéquier.
OOOUUUFFFFFFFF ! enfin me voila équipé avec en prime une housse de transport rigide, un capodastre et quelques méditors, hey ! on dirait presque un pro.
LA CONCORDE BLACK-BEAUTY
L’élue de mon cœur était donc une guitare Ibanez Concord 752 Black-Beauty de 1974 d’origine Japonaise.
Cette guitare made in Japan est une copie conforme de l’Harmony H1264 produite en 1970 et fabriquée à Chicago. Le japon commençait déjà à envahir le marché Américain avec des copies conformes.
Pour les connaisseurs, Carlos Santana utilise des guitares Ibanez.
Ibanez copia d’autres marques telle que Gibson Les Paul, ce qui lui valut quelques claques derrière les oreilles.
De retour à l’hôtel, je la sorti pour commencer à l’admirer et à m’y essayer. Première difficulté, sur une guitare folk, les cordes sont en acier, donc bobo doigts et l’écart et plus rapproché. Il faut donc revoir sa copie et s’adapter. Après l’avoir accordé, je commençais à l’utiliser en l’effleurant pour me faire discret et en collant l’oreille sur la caisse pour entendre quelque chose.
Une fois rentré dans mes montagnes Savoyardes, j’entrepris une personnalisation périlleuse.
En effet depuis tout petit, aussi, je collectionne les minéraux. Je choisi une pierre semi-précieuse que j’incrustais au milieu de la tête pile entre les clés des cordes de LA et SI. Après avoir marqué la forme de la pierre, j’effectuais la découpe précise du vernis et du bois avec un couteau suisse pour ensuite insérer et coller l’œil de tigre à la colle époxy.
J’optais aussi plus tard pour des cordes en bronze light à la place de celles en acier, je trouve personnellement le son plus profond.
Cette guitare et par cette transformation, avec une touche minérale, inédite, un modèle unique qui me ressemble.
L’APPRENTISSAGE
Encore jeune guitariste, il y avait encore un long parcours à entreprendre.
J’accentuais ma connaissance des accords grâce à ma sensibilité plutôt rock en étudiant, Les Beatles, Les Pink Floyd, Deep Purple, Status Quo, Led Zeppelin et leur incontournable Stairway To Heaven. L’achat d’une guitare électrique par la suite compléta le tableau.
Ensuite, j’apprenais plusieurs techniques telles que le finger picking, le pouce donnant le rythme sur les trois cordes du haut et index, majeur et auriculaire, un doigt par corde du bas pour la mélodie.
Cette méthode était utilisée par Marcel Dadi, maitre en la matière, disparu en 1996 lors du crash d’un vol au départ de New York. Ainsi que le flat picking qui se joue au médiator, idéal pour la country music. Un peu de morceaux de musiques classique, Sarabande de Haendel, Jeux interdits, dans le même esprit Natalia de Georges Moustaki, quelques compositions personnelles et des adaptations pour guitare de morceaux connus en finger picking.
La revue Rock&Folk proposait aussi des tablatures. Les tablatures sont des partitions spécialement conçues pour les guitaristes ce qui contribua aussi fortement à étendre mes compétences en la matière.
40 ANNEES ONT PASSE
Depuis plus de 40 ans, j’ai quasiment tout appris avec cet instrument. J’ai grandi avec ma guitare et elle a su me rendre ce que je lui donnais. Je veux dire par là, qu’un instrument de musique vous renvoie ce que vous exprimez. De la douceur, de la violence, de la délicatesse ou un bruit assourdissant. C’est vous qui pilotez, qui ressentez. L’instrument vous reflète, c’est une partie de vous-même. Il absorbe votre âme, il s’imprime de votre personne, il exprime aussi votre vécu, le souvenir de votre image.
Entre un instrument de musique et son propriétaire se forge avec le temps, une fusion, une relation particulière presque amoureuse, une symbiose, l’un ne pouvant vivre sans l’autre. On serre sa guitare contre soi, la caresse, elle chuchote, gémit parfois, chante souvent.
Je dois avouer que je joue depuis longtemps maintenant, mais plus si souvent que les premières années. Le tumulte de la vie, l’amour d’une femme, la folie du travail, le bonheur d’élever ses enfants, font que le temps passe et que j’ai négligé ma guitare pendant de longues périodes sans toutefois l’abandonner totalement.
Je l’utilise par période pour maintenir l’acquis. Finalement, c’est comme le vélo, on ne perd pas trop. Il faut réacquérir un peu de dextérité et de la corne sur les doigts et ça repart quasiment comme avant. Je rejoue mes vieux trucs de Marcel Dadi, Philippe Chatel, Graeme Allright, Francis Cabrel et les autres. De nouvelles choses qui me marquent aussi, des adaptations personnelles, Mad World de Gary Jules en picking par exemple.
ENCORE QUELQUES ANNÉES
Je tourne la tête sur la gauche, elle est toujours là, fidèle en attente de mes envies, de mon inspiration. Quelques blessures du temps, des cicatrices, de l’usure due aux quelques milliers d’heures probablement à partager une même passion.
Cet instrument à pris une partie de mon essence, elle a en elle une partie de moi. Elle doit aussi me représenter auprès de mes connaissances intimes. Qui de mes amis, de ma famille ne m’a jamais entendu jouer de cette guitare ?
Il ne faut pas se cacher les yeux, je suis plus proche de la fin que du début, cette guitare me survivra de toute évidence. Toutefois, je n’ai aucune inquiétude à son sujet, je sais exactement où elle continuera son chemin sans moi.
D’autres mains familières la caresseront avec j’en suis certain, une grande émotion aux vues de ce qu’elle représente et a représentée pour moi.
Rassurons-nous, je n’ai pas intention de tirer ma révérence de sitôt. J’espère bien pouvoir la faire ronronner encore quelques années, maintenant que j’ai un peu plus de temps à lui consacrer.